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Libertaire

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Heurs & malheurs du libertaire - Par Michel Onfray

Se dire libertaire est assez facile, tâcher de vivre en libertaire s’avère plus difficile. Non pas que cette éthique pratique (ou cette pratique éthique…) soit irréalisable, au contraire, c’est relativement facile, il suffit de commencer un jour, mais parce qu’aux yeux d’autrui, pour qui la liberté est la chose du monde la moins bien partagée, mieux valent toujours un mythe, une fiction, une légende, un catéchisme, une religion, même athée, une fable, un conte, (pourvu que tout cela dispense de penser par soi-même et de faire face directement au réel), qu’une vérité qui trouble et met chacun face à soi-même, en demeure de « se construire liberté » pour utiliser une expression de Nietzsche. Dès lors, pour ceux qui n’ont pas construit leur vie selon ce principe, une vie libertaire vaut comme un reproche vivant à leur vie de servitudes volontaires.

Le libertaire veut une vie dans laquelle un maximum de liberté puisse être vécue sans que ce projet existentiel coûte à autrui en désagrément. Si l’autre se construit des châteaux de servitudes inhabitables quand on prend soin de lui proposer une chaumière libertaire habitable, c’est son affaire, il ne tient qu’à lui de se souvenir des termes du contrat. On stigmatise souvent la cruauté ou l’égoïsme du libertaire qui préserve sa liberté pour éviter de mettre en question sa propre cruauté ou son propre égoïsme. On sait que l’égoïste définit souvent celui qui ne pense pas assez à nous…

En matière religieuse, le libertaire est athée. Dès lors, il a contre lui tous les dévots : le Juif le traite d’antisémite, le Chrétien lui reproche son goût du blasphème, le Musulman stigmatise sa prétendue islamophobie. On peut préférer la liberté à n’importe quel dieu sans insulter ceux qui croient à leurs divinités. Le libertaire traite à égalité toutes les croyances là où le croyant se contente d’être lucide sur la religion des autres, qu’il aborde avec une raison qui lui fait défaut pour la sienne, mais se met en colère quand on utilise sa logique à l’endroit de sa propre fiction. Il a également contre lui les Francs-maçons ou les tenants d’une dite Libre Pensée souvent enfermés dans leurs propres catéchismes récités avec componction.

Sur le terrain politique, le libertaire se soucie plus de vérité et de justice que de droite et de gauche – même si, dans l’histoire, la droite a moins souvent fait que la gauche pour la justice sociale… Dès lors, il a également contre lui tous les tenants du catéchisme idéologique de gauche et tous les dévots de la religion pragmatique de droite. La droite le récuse parce qu’il est de gauche ; la gauche le refuse parce qu’on le classe à droite quand il affirme préférer une vérité de droite à une erreur de gauche.

Le libertaire se garde de toutes les tribus construites sur la classe sociale, le sol natal, le sang du lignage, la caste institutionnelle, la secte religieuse, l’appartenance politique sur le papier, la préférence sexuelle, l’esprit de corps, la profession… Toutes les communautés tribales, repliées sur elles-mêmes, élitistes et électives, actives en promotion du même et en éviction du dissemblable, intrigantes et utiles à leur propre promotion, le voient d’un mauvais œil – toujours parce que la vie solaire du libertaire vaut comme un reproche vivant à la vie en meute. Diogène, Aristippe, La Boétie, Nietzsche, Thoreau, Proudhon, Camus sont dans son arbre généalogique. Il n’en changerait pour rien au monde…

Source

Michel Onfray - OuvrezLesGuillemets - juillet 2013

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