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Les bons comptes

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Les bons comptes ne font pas les bons amis. Une condition nécessaire à l’amitié est la générosité qui elle-même ne peut naître d’une comptabilité systématique. La générosité implique un partage spontané, dénué de calcul, où le moteur principal est le plaisir de faire plaisir, où ce qui est échangé est divers en nature, en quantité, en valeur, et qui produit à terme un ensemble jugé équitable du point de vue de deux individus particuliers mais qui passe en arrière-plan de l’essentiel, quelque chose comme le célèbre : « parce que c’était moi, parce que c’était lui ».

Les bons comptes font éventuellement les bons associés. Dans le processus de création d’une entreprise commerciale le choix des associés est cardinal. La question qui doit se poser dès lors est celle de l’argent. L’expérience montre que les associés doivent partager d’emblée une vision similaire sur ce thème comme sur des sujets connexes : l’argent comme une fin ou comme un moyen ? plutôt fourmi ou plutôt cigale ? plutôt investisseur ou plutôt économe ? plutôt risque-tout ou plutôt prudent ? etc.
La question du partage des bénéfices de l’entreprise, quelles que soient leurs natures (tout ayant une valeur, c’est au final toujours bien d’argent dont il s’agit – ou de pouvoir, ce qui est pareil - ) est régie par un contrat, écrit ou tacite, entre les associés. Mais les meilleurs associés du monde finiront inévitablement par se déchirer au moindre problème sur la question de l’argent, malgré les liens (respect mutuel, camaraderie) tissés au fil du temps entre les impétrants. S’il est difficile d’en faire la démonstration, la multiplicité des exemples qui nous sont donnés de vivre ou de constater peut servir de preuve sans risquer d’être taxé de malhonnêteté intellectuelle.

L’amour de l’argent et l’amour de l’autre (l’amitié ou l’amour-tout-court) sont incompatibles. Si les bons comptes forment le socle de la confiance entre deux associés d’affaires, ils sont, au contraire, dans tous les autres cas, le marqueur d’une forme de défiance : « je compte donc tu ne comptes pas pour moi, ou en tout cas, tu ne comptes pas à valeur égale de l’argent, la valeur vénale que représente ma part dans notre action commune. J’ai besoin d’un solde pour voir où j’en suis, vérifier où je vais. Le seul plaisir partagé de ta présence à mes côtés n’est pas suffisant, pas satisfaisant. Je dois être en mesure de contrôler, comparer, produire un bilan et c’est à l’aune de ce bilan que je me détermine vis-à-vis de toi ».

Celui qui passe sa vie à parler d’argent, à compter les centimes et à thésauriser ne peut devenir l’ami de quiconque. Au mieux peut-il espérer s’attacher, un temps, quelques « associés » de passage, mais les divergences sur la question de l’argent finiront inévitablement par créer des tensions. Et dans le cas contraire, s’il y a convergence de vues, toute « association » est de la même façon vouée à un échec certain : deux comptables en présence ne se font pas de quartier.

L’amour de l’argent, cette passion triste, comme l’alcool, la drogue, comme toutes les addictions qui se posent en substitut de la vie, isole, impitoyablement.

OuvrezLesGuillemets - juillet 2013

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