L'hélico, tiré des "Contes Rapides pour riders pressés", par Bernard Germain

J'ouvre les yeux, tout est bleu, je ferme les yeux.
J'ouvre les yeux, le ciel est toujours là, bleu et plat comme une mer étale, je ferme les yeux.
J'ouvre les yeux, calme et paix, le silence est un abîme et je suis au fond du silence, je ferme les yeux.
J'ouvre les yeux, j'ai un étrange bourdonnement dans la tête, des ombres passent, éclipses rapides du soleil, j'ai un peu froid, je ferme les yeux.
J'ouvre les yeux, il y a du bruit, un ronflement qui enfle, qui devient assourdissant, le vent ivre fait danser des flocons de neige et me gifle la face, je ferme les yeux.
J'ouvre les yeux, le ciel bouge, les crêtes bougent, je suis dans un univers mouvant, je dérive sur un canot que berce une houle, un canot qui tangue au rythme lent des vagues, je ferme les yeux.
J'ouvre les yeux, le bruit sourd est devenu sifflement, tout vibre maintenant, ma tête va éclater, je vois de grandes voiles blanches gonflées d'air, rondes comme des ventres repus, je ferme les yeux.
J'ouvre les yeux, toujours ce bruit qui me perce les os, toujours ce vrombissement qui se niche dans mon ventre, une forme se penche sur moi, visage inconnu fendu de lèvres qui parlent une langue muette, je ferme les yeux.

 

J'ai cinq ans, je tiens la main de ma mère sur le chemin de l'école. J'en ai sept, je vais au tableau sous les yeux de la classe hilare. Douze, l'été, au bord de l'océan, sur le dos des vagues se consument les brisures d'un soleil incandescent. Quatorze, j'ai quatorze ans et ma main dans la main de Mathilde, je n'ose pas la regarder, je suis mal à l'aise mais faudrait pas que ça s'arrête.

Faudrait pas. Encore un peu, rester encore un peu comme ça, immobile avec le cœur irradié de bonheur.

J'ouvre les yeux. Le visage au-dessus de moi a changé. Il est plus doux. C'est un visage de femme. Impossible de dire si elle est jolie. Elle me sourit. Il y a un drôle de ballet tout autour. Tous ces gens qui s'agitent. Ces lampes qui s'allument. Je suis fatigué. Je ferme les yeux.

L'avalanche m'a avalé comme on gobe une olive et m'a craché comme on souffle son noyau. C'est en parti grâce à cela que j'ai survécu. Comme le dit souvent Paul, mon frère, j'en ai profité pour faire mon baptême en hélico.